Que révèlent vraiment les « premières » images du télescope Vera-C.-Rubin ?
L’observatoire Vera-C.-Rubin vient de débuter un grand sondage du ciel, le Legacy Survey of Space and Time (LSST) et a livré en juin 2025 de « premières » images au grand public : une grandiose visualisation d’une partie de l’amas de galaxies de la Vierge.
Mais de telles « premières » images ont une importance qu’il convient de relativiser, ou tout au moins recontextualiser car leur intérêt n’est pas forcément celui que l’on croit ou voit immédiatement.
Les images de Vera-C. Rubin se distinguent par la taille de leur champ exceptionnellement grande et la rapidité du nouvel observatoire, qui lui permet de cartographier des lumières même ténues sur une grande partie du ciel plusieurs fois par mois.
La « première lumière » d’un nouvel observatoire est un évènement symbolique et médiatique. Les images dévoilées ce jour-là au public ne sont en effet pas les vraies premières acquisitions – ces dernières servent des objectifs purement techniques et n’ont que peu d’intérêt pour le public. Elles ne témoignent pas forcément des buts scientifiques primaires qui ont motivé la construction du télescope. Elles existent essentiellement pour impressionner et susciter l’intérêt : pour cela, elles doivent posséder une valeur esthétique… qui ne doit pas occulter les performances techniques de l’instrument qui les a générées.
En quoi, alors, cette « première » image du sondage Legacy Survey of Space and Time (LSST), centrée sur l’amas de galaxies de la Vierge, est-elle originale et doit-elle nous interpeller ?
Parce qu’elle dévoile des astres encore inconnus ?
Pas tout à fait. Les structures les plus remarquables, visibles sur cette image, étaient familières, comme ce couple de spirales vues de face (au centre, à droite), cette galaxie naine mais étonnamment étendue et diffuse (en haut à droite) ou, enfin, ces spectaculaires traînées stellaires qui relient plusieurs galaxies d’un groupe situé à l’arrière-plan (en haut à droite), fruits de collisions en cours qui arrachent les étoiles à leurs galaxies.
Ces queues dites « de marée » avaient déjà été cartographiées par des caméras d’ancienne génération, comme Megacam sur le vénérable Canada-France-Hawaii Telescope (CFHT).
Parce que sa qualité optique est exceptionnelle ?
Obtenue depuis le sol, et subissant la turbulence de l’atmosphère qui floute toute lumière venue de l’espace, sa finesse est loin des standards des télescopes spatiaux Hubble, James-Webb ou Euclid, qui présentent une résolution spatiale de 5 à 10 fois meilleure.
Parce qu’elle présente d’éclatantes couleurs ?
Certes, mais depuis que le sondage du Sloan Digital Sky Survey (SDSS) a démarré en 2000, il a systématiquement observé une grande partie du ciel dans des bandes devenues standards (u,g,r,i,z) et a combiné ses images pour produire de « vraies couleurs ». Le public s’est habitué à une vision colorée des objets astronomiques.
Désormais, chaque nouvelle mission utilise sa propre palette qui varie selon le jeu utilisé de filtres.
Parce qu’elle dispose de canaux de diffusion importants ?
Certainement ! Les États-Unis ont une culture de médiation scientifique bien plus développée qu’en Europe, et leurs agences, dont le département de l’énergie américain et la Fondation nationale pour la science qui portent le projet LSST, accordent des moyens financiers conséquents aux actions de communication, relayées par l’ensemble des partenaires, parmi lesquels, en France, le CNRS dont l’Institut nucléaire et particules est chargé, entre autres, d’une grande partie de la chaîne de traitement des données.
Mais faut-il pour autant faire la fine bouche face à cette belle, mais pas si originale image produite par le LSST ? Assurément, non ! Elle mérite vraiment de s’y intéresser – non donc par ce qu’elle montre, mais par ce qu’elle cache !
Ce que cachent les premières images du nouveau télescope Vera-C.-Rubin et de son sondage LSST : un potentiel énorme et une prouesse technique
Ce qui est réellement derrière cette image, c’est un potentiel scientifique énorme, lui-même résultat d’une prouesse technique remarquable.
L’image a été acquise avec la plus grande caméra au monde. Elle dispose d’un capteur de 3,2 milliards de pixels (en fait une mosaïque de 189 capteurs CCD), soit 100 fois plus qu’un appareil photo classique.
Cette débauche de pixels permet de couvrir un champ de vue sans précédent de 9,6 degrés carrés, soit 45 fois la taille apparente de la pleine Lune ou 35 000 fois celui de la caméra du télescope spatial Hubble.
Avec cette vision large, le LSST pourra cartographier la surface totale de l’amas de la Vierge en seulement 10 clichés (l’image présentée ici ne couvre qu’une partie de l’amas), et quelques dizaines d’heures d’observations, contre quelques centaines d’heures pour le télescope Canada-France-Hawaii, avec lequel nous osions une comparaison plus haut.
La taille de la caméra du LSST est digne de celle de son télescope, pourvu d’un miroir de 8,4 mètres, le plus grand au monde entièrement consacré à l’imagerie. Avec une telle machinerie, l’ensemble du ciel austral peut être observé en seulement trois jours, des performances idéales pour repérer les phénomènes transitoires du ciel, comme les supernovae ou pour découvrir des astéroïdes dont la position varie d’une image sur l’autre.
Chaque nuit d’observation, les terabytes de données s’accumulent et, pendant les dix ans du sondage, les images vont être empilées pour in fine atteindre une sensibilité inégalée, mettant en jeu une chaîne de traitement complexe sans commune mesure avec celles mises en œuvre pour les sondages anciens.
Cette base de données qui, comme le grand vin, se bonifie avec le temps, permettra d’effectuer des avancées dans de multiples domaines de l’astrophysique, de la physique stellaire à la cosmologie.
Alors, oui, il est tout à fait légitime d’être impressionné par cette première image du LSST et par le potentiel de découvertes qu’elle dévoile.
Et pour finir, il convient de rappeler que l’observatoire qui l’a acquise, installé dans le désert chilien de l’Atacama, honore par son nom l’astrophysicienne Vera Rubin, à l’origine de la découverte de la matière noire dans les galaxies. Donner un nom de femme à un projet astronomique d’envergure est aussi une première !![]()
Pierre-Alain Duc, Directeur de recherche au CNRS, directeur de l’Observatoire astronomique de Strasbourg, Université de Strasbourg
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.